Mayonnaise conjugale

• Qu’est-ce que tu fais dans le noir ?
• Je ne m’étais pas rendu compte qu’il faisait noir.
• Tu ne te sens pas bien ?
• J’ai acheté un pot de mayonnaise.
• Ah oui ?
• Oui
• Tu as passé une bonne journée à part ça ?
• Ben non. Tu n’as pas entendu ce que je t’ai dit ? J’ai acheté un pot de mayonnaise.
• Si j’ai entendu. Et alors ?
• Et alors ? Mon végétalisme, ça te dit quelque chose ? ça fait au moins dix ans que je n’ai pas mangé d’œufs !
• Ah oui, c’est vrai. Alors pourquoi tu as acheté ce pot de mayonnaise ?
• A la base je voulais acheter des graines de quinoa à l’épicerie du coin et puis j’ai eu envie de marcher jusqu’à la supérette de la rue Dufour.
• Ah…Vers quelle heure ?
• Midi et quart.
• Ecoute…
• C’est alors que dépassant le rayon détergent et papier toilette, j’ai cru voir une silhouette qui te ressemblait beaucoup. Une silhouette qu’un homme embrassait à pleine bouche en plein milieu du supermarché. Je me suis dit que ça ne pouvait pas être toi. A cette heure-là tu es au travail. Mais j’ai reconnu ton manteau, ton sac, l’écharpe que je t’ai offerte…
• Je vais t’expliquer…
• Je me suis demandé à quel stade d’une relation est ce qu’on s’embrasse aussi passionnément dans le rayon PQ d’une supérette de quartier. Est-ce que ça fait 2 jours, 2 semaines ou peut-être 2h ? Je te connais, pour que tu perdes toutes tes inhibitions comme ça, ça doit bien faire…
• Ça fait 3 semaines…
• Tais-toi, je ne veux pas de détails. Quand est-ce que tu comptais me le dire ?
• Je ne sais pas. Ce n’était jamais le bon moment. Avec tous tes soucis, j’avais pas envie d’en rajouter…Et puis c’est pas comme si j’allais me marier non plus…
• Je te surprends avec un homme dans un supermarché et c’est tout ce que tu trouves à me dire ? « C’est pas comme si j’allais me marier » ?
• Bon écoute tu es sous le choc. En ce moment tu fais une montagne de tout mais il faut regarder les choses en face. On ne va pas éternellement vivre ensembles toi et moi. On s’est toujours dit que c’était temporaire. C’est vrai qu’avec Pierre ça commence à être sérieux mais on n’a pas encore parlé d’emménager ensemble par exemple.
• Il s’appelle Pierre ?
• Oui et tu l’adorerais. Je t’assure. Dans un sens ça me soulage que tu nous aies vu. J’en avais marre de ces cachotteries. Je déteste mentir. Surtout à toi. Avec tout ce qu’on a traversé.
• Justement. On s’est fait tellement de promesses. On devait vieillir ensemble, tu te souviens ?
• On s’est fait cette promesse quand on avait 15 ans. Faut passer à autre chose maintenant.
• Tu es tout ce que j’ai. Je ne sais pas ce que je vais devenir sans toi.
• Ce sont tes hormones qui parlent. Je t’aime beaucoup et tu le sais mais il faut que tu te décides à appeler ton mari pour que vous surmontiez cette épreuve ensemble. Ça arrive à des tas femmes d’avoir un passage à vide pendant leur grossesse. T’es pas d’accord ?
• Je sais pas…
• Allez Valérie… Arrête de pleurer. On va se calmer, appeler Issa, s’asseoir tous ensemble et discuter. Après tout, tu portes son enfant.
• …
• Et alors, ce pot de mayonnaise, tu comptais te l’envoyer tout entier, c’est ça ?
• Mais non. J’étais tellement perturbée de t’avoir vu avec ton Pierre que je me suis littéralement robotisée. Je ne savais même plus ce que je faisais et quand je suis rentrée, je me suis rendu compte que j’avais pris un pot de mayonnaise.
• T’es quand même un sacré numéro ! Il a qu’à bien s’accrocher ton Issa.